Interview Karine Pollien - Radio Cité Genève 


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Entretiens menés par Irène Kaiser (TMG)


 

Fatna Djahra - conceptrice du projet - " Raconter l’éphémère, le merveilleux de la vie "

 

Où avez-vous puisé l’inspiration pour Après l’hiver ?

Deux expériences ont été déterminantes pour la création de ce spectacle.

L’une remonte à longtemps : Je suis issue d’un milieu modeste et nous n’écoutions pas la « grande » musique à la maison. Ma première fois a été un choc émotionnel, esthétique : le Cum Dederit de Vivaldi. Véritable bouleversement ! le 1er...

La deuxième expérience marquante a été, en septembre 2016, une “visite” des camps de migrants à Calais pour déposer du matériel de première nécessité. Véritable bouleversement ! le 2nd..

S'enfuir d’un pays en détresse, traverser une mer, un désert, avec l'espoir d'accéder de nouveau au droit de vivre et de grandir, simplement. Et s'échouer sur une terre inconnue, dans la jungle de Calais. Il fallait vraiment partir de pas grand chose pour accepter de vivre là, même en transit. Je suis revenue choquée avec l'envie furieuse de raconter. 

Le voyage inimaginable de ces gens, de ces familles, de ces enfants m’a donné envie de créer un spectacle. Nous avons mis en miroir le cycle des saisons et le cycle de vie de la chenille / papillon. Nous avons ainsi pu évoquer l'envol possible après chaque longue traversée, quelle qu'elle soit... Un spectacle pour eux et pour nous tous.

Julien Israelian, mon complice musical, a donc exploré les Quatre Saisons de Vivaldi sous l’angle du souvenir... La musique qu’il a composée pour ce spectacle est résolument contemporaine et dialogue subtilement avec Vivaldi et ses 4 saisons. 

Saisons, transformations, commencements, recommencements, nouveaux départs, espoir d’un possible envol...  

Un spectacle sans paroles, porté par la peinture, la musique, l'humour parfois et la poésie, surtout par le mouvement de la vie.

 

Chaque envol n’est-il pas aussi un adieu ?

Il y a de ça. Pour que quelque chose puisse commencer, quelque chose doit s’arrêter, il me semble. C’est ça, le mouvement de la vie. Dès notre naissance, nous nous développons, grandissons, vieillissons et « disparaissons ». Dans ce spectacle, j’ai envie de raconter les dangers, les accrocs, les difficultés mais aussi l’éphémère, le merveilleux, le formidable, le « gracieux » de la vie.

Si, comme la chenille, pour continuer à grandir, il fallait s’aider de la force de l’orage ? Si pour se transformer, il fallait quitter un état pour aller vers un autre ? Et si la fin d’un cycle était un bel acte, comme l'envol du papillon ?

Ainsi le cycle de la vie serait une fausse « boucle ». On ne « boucle » pas, en réalité on avance...     

    

Qui dit « cycle de la vie » et « saisons » dit forcément « nature », mais vous évoquez aussi la ville…

Oui, je souhaite bien sûr montrer la beauté de la nature au fil des saisons, la magie et la singularité de chacune d’entre-elles, mais aussi montrer que l’environnement que traverse la petite chenille se transforme constamment, sous l’emprise du temps qui passe… et sous l’emprise de l’homme. L’homme est totalement absent de la pièce, à part nous, manipulateurs. La ville est là, suggérée par des projections, des ombres, des sons... Il n’y a aucun jugement de valeur, aucun militantisme dans ce choix-là.

Uniquement l’envie d’ancrer cette histoire dans un certain réalisme, dans un environnement concret, connu des enfants. La nature, comme la ville, constitue l’environnement « naturel » de notre petite chenille, elle y évolue peut-être et s’y adapte sûrement.                                 

 

Dans Après l’hiver, vous avez un traitement différent du papier que dans Super Elle et Pop-Up-Cirkus...                   

J’ai souhaité me distancier un peu du pop-up et explorer autre chose, tout en restant dans la bi-dimensionalité, qui reste mon espace de jeu préféré car elle réduit le champ des possibilités techniques et sollicite davantage l’imagination des créateur-ices, des comédien ou du public. Dans Après l’hiver, nous jouons avec le côté graphique du papier. Sur 6 panneaux qui pourraient évoquer des estampes japonaises, nous expérimentons les possibilités de transformation que nous offre le papier, matière à la fois fragile et résistante. Nous transformons sans revenir en arrière, sans gommer, sans effacer. Nous utilisons le dessin en direct, l’encre, mais aussi l’eau, l’huile et l’air, les jeux d’ombre et de lumière rétroprojetée pour la création de tableaux dynamiques et surprenants pour chaque saison. Cette création est un dialogue entre la matière, la musique et le jeu des comédien-nes-marionnettistes pour tendre vers quelque chose à la fois simple et poétique. 

 

Lors des différentes étapes de travail, vous avez sollicité l’opinion des enfants...                                    

Les inviter en cours de création et écouter le rythme de leur attention et leur retour après la présentation, c’est pour moi la meilleure manière de tester un travail en cours. Travailler avec et pour les tout-petit-e-s nous oblige à être simples, essentiel-le-s. Les petit-e-s sont comme les ados : si on n’est pas simple, juste et généreux, on les perd. C’est un public très sincère...


 

Julien Israelian, compositeur  "Les 4 saisons de Vivaldi comme un souvenir"

Parlez-nous un peu des Quatre Saisons de Vivaldi...

Les Quatre Saisons sont une suite de quatre courts concerti pour violon et orchestre à cordes composés par Vivaldi aux alentours de l’année 1720. Ce qui nous a particulièrement plu dans cette oeuvre, c’est son caractère expressif et imagé et le lien très étroit avec la poésie et la peinture. En effet, on attribue à Vivaldi la création de quatre sonnets sur le thème des saisons, auxquels il fait d’ailleurs référence dans la partition (notamment pour les sons d’animaux, comme les aboiements d’un chien ou le chant d’un coucou, d’une tourterelle ou d’un pinson). Par ailleurs, on dit que pour la composition Vivaldi s’est inspiré des tableaux du peintre Marco Ricci et qu’il s’agit donc d’une « musique de programme ». Avec le dessin en direct et la création de tableaux poétiques, le spectacle de Fatna y fait un clin d’oeil.

                                                      

Sous quelle forme retrouve-t-on les Quatre Saisons dans le spectacle ?

Au début, Fatna m’avait demandé de transformer la musique Vivaldi, et j’avoue avoir été assez sceptique à cette idée. En effet, les premiers essais étaient peu concluants... S’attaquer à une oeuvre aussi monumentale n’est pas rien, on peut vite tomber dans quelque chose de « cheap » et jouer la musique Vivaldi sur autre chose que sur des instruments d’époque entache sa beauté et sa virtuosité... Nous avons donc décidé de ne pas « transformer» Vivaldi, mais d’inclure dans notre « bande sonore » quelques extraits. Notre choix s’est porté sur le 3e mouvement de L’Hiver et le 3e mouvement de L’Été. Ces extraits surgissent tels des nuages, des citations, des souvenirs lointains... La notion du souvenir est très chère à Fatna, l’idée que les choses continuent à exister au-delà du temps...                                                     

 

Comment se présente votre « bande son » ?         

Pour la musique, j’ai laissé la scénographie et les images se créer en direct sur scène et agir sur moi. L’idée était de proposer des ambiances différentes pour chaque saison, en gardant « un fil rouge » que l’on retrouve tout au long de la pièce. Je voulais aussi revenir vers quelque chose de simple, d’essentiel, d’un peu « roots » si je puis dire. L’instrument que j’utilise va dans ce sens… Il s’agit d’une balalaïka tendue avec des cordes à boyaux telles qu’on les trouve sur les guembri, les luths du Nord du Sahara.

La musique que j’ai ainsi créée est rythmée, tout en gardant un côté rêveur, léger, évanescent, contemplatif, qui, je l’espère, appuie la poésie du spectacle de Fatna. Une image que j’avais en tête en composant est celle des saisons dans la ville... En ville, on vit le changement des saisons de manière bien moins intense que dans la nature. Dans ce contexte, le « souvenir » des Quatre Saisons de Vivaldi - symbole des saisons dans toute leur intensité - déploie tout son sens...